Pourquoi les stars comme
Whitney Houston finissent
toujours seules et droguées:
Atlantico : Whitney Houston, dont on connaissait les problèmes d'addiction et les déboires sentimentaux depuis plusieurs années, a été retrouvée morte dans la baignoire d'une chambre d'hôtel de Beverly Hills. N'est-ce là qu'une énième histoire de star déchue ?
Laurent de Sutter : Toute histoire de star déchue est importante. Pourquoi ? Parce qu’elle exprime la survivance d’un régime d’exception au sein du monde des humains. Tous les hommes ne sont pas pareils : certains peuvent déchoir, d’autres non ; et certains peuvent déchoir de plus haut, d’autres de plus bas. Dans le cas de Whitney Houston, la déchéance a été à la hauteur de l’ascension – un peu à la manière du personnage joué par Gloria Swanson dans Sunset Boulevard de Billy Wilder.
Cette chute, toutefois, était inévitable. Toute star, quelle qu’elle soit, finit par déchoir – la différence étant le moment et la manière de cette déchéance : plus tôt ou plus tard, plus hard ou plus soft, en attendant une toujours possible rédemption. Whitney Houston, semble-t-il, n’a pas eu le courage d’attendre la sienne, et a préféré tirer sa révérence plutôt qu’affronter plus longtemps le terrifiant déficit d’amour que son éclipse avait laissé chez elle. Parce que telle est bien l’horreur de la déchéance : passer du statut d’objet d’adoration amoureuse à celui de créature indifférente, voire pitoyable. Il faut être très fort ou très stupide pour résister à cela. Whitney Houston n’était ni l’un, ni l’autre.
Les exemples sont nombreux : Amy Winehouse, Jim Morrisson, Jimmy Hendrix etc..., pourquoi drogue et star system font-ils si bon ménage ?
A quoi servent les drogues ? Dans la meilleure des hypothèses, à permettre l’expérience de mondes inédits – dans le pire, à faire de leurs usagers des pantins pathétiques. La cocaïne, qui est la plus débile de toutes les drogues, appartient à la seconde catégorie : elle permet pendant un moment de se croire irrésistible, de se croire une star, avant l’inévitable réalisation que ce n’est pas le cas. Que cela ait été la drogue favorite de Whitney Houston n’est donc pas une surprise : ce qui l’intéressait, dans la cocaïne (plus précisément, dans le crack), c’était de retrouver cette star qu’elle n’était plus, et même, parce qu’elle se livrait à elle, qu’elle était de moins en moins.
Il y a là une spirale qui rappelle celle d’autres figures de la déchéance : ces anges dont le plus célèbre, selon certaines « cosmographies infernales », n’est autre que Satan. Qu’est-ce qu’un ange déchu, en effet ? C’est un ange qui découvre le mal une fois que, à la suite d’une erreur, l’amour de Dieu lui a été retiré – et non pas l’inverse, comme on le croit souvent. Les stars comme Whitney Houston sont ce qui subsiste de la théologie des anges déchus dans notre civilisation.
Les icônes sont donc vouées à être dévorées par la société ?
Au contraire de ce que l’on aime à répéter, notre société n’a aucun goût pour les images. Son iconoclasme est même un des plus violents, des plus radicaux, de l’histoire de la guerre contre la représentation. Notre société, comme l’a très bien dit Alain Badiou, est avant tout animée par la « passion du Réel » née des grandes expériences politiques, esthétiques et psychiques du XIX° siècle. Ainsi de la manière dont nous regardons le star-system, ultime avatar de la foi dans un monde qui la refuse : que les stars meurent, et meurent de façon pathétique, au fond, nous rassure, nous permet de croire que nous avons raison de ne jurer que par le « Réel ».
Ce qu’il y a de triste, dans la mort de Whitney Houston, c’est donc qu’elle a donné raison à cet iconoclasme, qu’elle s’est dégradée jusqu’au niveau de médiocrité que celui-ci espérait. Car, à nouveau, ne l’oublions pas : si les anges déchoient, ce n’est jamais de leur plein gré – mais parce qu’ils ont voulu faire plaisir à l’homme, ce qui est toujours une erreur aux yeux de Dieu. Or, même dans la déchéance, Whitney Houston n’a pas eu la force de se dresser contre cette méchanceté iconoclaste dont elle était pourtant l’objet.